Fayard
La souffrance comme identité, par Esther Benbassa
EN LIBRAIRIE DEPUIS LE 7 MARS (au prix de 20 €)
Cet
ouvrage montre brillamment comment en monde juif, depuis les fondations bibliques
elles-mêmes, la souffrance, ses représentations et sa ritualisation ont façonné
au fil des siècles l'histoire d'un peuple et d'une religion, et plus encore
l’idée que ce peuple et cette religion se faisaient de leur histoire, désormais
« lacrymale ». Il suit ce parcours jusqu’à ses ultimes métamorphoses et analyse
le lien indissoluble qui s’est finalement tissé entre le génocide et l’État
d’Israël, sa politisation, sa banalisation et sa transformation récente en
une religion civile accessible à tous, un judaïsme « de l’Holocauste et de
la Rédemption » – la Rédemption étant la création de l’État hébreu. Au-delà
du cas juif, il fournit des clés de compréhension des diverses trajectoires
mémorielles et identitaires d’aujourd'hui, aussi nécessaires ou inévitables
qu'envahissantes et dont la mémoire de la Shoah est devenue le modèle.
Traitant
pour la première fois dans la très longue durée et dans une perspective comparatiste
l’immense dossier de la souffrance comme identité, Esther Benbassa engage
aussi le débat, face à des devoirs de mémoire tyranniques, sur un droit à
l’oubli qui ne serait pas amnésie, mais confierait à une histoire enfin plurielle
et partagée le dépôt de nos passés de souffrances. Ce choix reste-t-il toutefois
praticable dans une société qui fait du bien-être sa valeur suprême, où la
souffrance distingue et garantit le plus souvent l’accès à une forme de reconnaissance,
même si elle est essentiellement symbolique et n’ouvre pas toujours sur un
avenir constructif ?
Directrice
d’études à l’École pratique des hautes études, auteur de nombreux ouvrages
sur l’histoire du judaïsme devenus des classiques, Esther Benbassa est aussi
une intellectuelle présente dans le débat public. Elle vient de recevoir le
Prix Françoise Seligmann contre le racisme, l’injustice et l’intolérance.